lundi, juillet 31, 2006
Des regrets, pas de remords?
Drôle d'article aujourd'hui dans The Guardian...
Pour que certains critiques puissent retrouver face humaine, puisque "All those who pass judgement for a living are, like a magistrate who hangs an innocent or frees a killer, occasionally troubled in the night by the recollection of past error", on les y invitait en effet à désavouer une de leurs opinions critiques.
D'un mea culpa sur Kiefer Sutherland à un autre sur Nirvana, une sélection de critiques y avouent donc leurs légères glissades.
Bien sûr, le critique pourra toujours regretter de ne pas avoir su trouver les mots exacts, de ne pas avoir su s'élever au niveau de l'oeuvre ou bien même d'avoir eu la dent un peu molle.
Mais au-delà de ces détails, un critique peut-il vraiment changer d'avis? En a-t-il le droit? Peut-il retourner sa veste aussi facilement?
Et s'il le fait, cela veut-il dire que finalement, son idée n'était qu'un effet de mode que le temps pourra modeler à sa guise?
Car admettre que sa critique était défaillante, n'est-ce pas finalement admettre qu'elle n'était qu'une opinion?
Je ne sais pas. Peut-être aurez-vous la réponse: un critique a-t-il le droit de se rétracter?
Pour que certains critiques puissent retrouver face humaine, puisque "All those who pass judgement for a living are, like a magistrate who hangs an innocent or frees a killer, occasionally troubled in the night by the recollection of past error", on les y invitait en effet à désavouer une de leurs opinions critiques.
D'un mea culpa sur Kiefer Sutherland à un autre sur Nirvana, une sélection de critiques y avouent donc leurs légères glissades.
Bien sûr, le critique pourra toujours regretter de ne pas avoir su trouver les mots exacts, de ne pas avoir su s'élever au niveau de l'oeuvre ou bien même d'avoir eu la dent un peu molle.
Mais au-delà de ces détails, un critique peut-il vraiment changer d'avis? En a-t-il le droit? Peut-il retourner sa veste aussi facilement?
Et s'il le fait, cela veut-il dire que finalement, son idée n'était qu'un effet de mode que le temps pourra modeler à sa guise?
Car admettre que sa critique était défaillante, n'est-ce pas finalement admettre qu'elle n'était qu'une opinion?
Je ne sais pas. Peut-être aurez-vous la réponse: un critique a-t-il le droit de se rétracter?
jeudi, juillet 27, 2006
Police!
Le petit Lieutenant : Xavier Beauvois, Nathalie Baye, un commissariat et du grand cinéma.
Que faut-il pour réussir un film qui pénètre à chaque minute les pores de la peau de ses spectateurs, qui suinte une ambiance noire sans pourtant ne perdre personne au détour de son cheminement ? Que faut-il pour réussir l’étrange mariage du polar et de la chronique existentielle ? Oui, que faut-il ? À en regarder Le petit Lieutenant, quatrième long de Xavier Beauvois (N’oublie pas que tu vas mourir), les réponses paraissent si simples…
Et pourtant, il en aura fallu du sang, de la sueur et des larmes à ce cinéaste pour réussir ce portrait de Caroline Vaudieu, commandant de la deuxième division de la Police Judiciaire, ancienne alcoolique et mère endeuillée, confrontée à Antoine, un jeune lieutenant idéaliste (Jalil Lespert) tout frais débarqué de sa province. Il lui en aura fallu des mois passés à s’immerger dans les commissariats d’arrondissements parisiens, à voir la vie en vrai, à s’imprégner des odeurs, des lieux, des mouvements. Il lui en aura fallu du courage, aussi, pour parler de ses propres désenchantements qu’il pensait pouvoir noyer dans l’alcool.
Son actrice, Nathalie Baye, qui le retrouve pour une seconde fois après Selon Matthieu et rencontrée au dernier Festival du Film de l’Outaouais, confirme : « Xavier est très intelligent et il a la simplicité des gens très intelligents. Mais surtout il est tellement sincère. Il y a beaucoup de lui dans ce rôle, ce problème avec l’alcool et il m’a vraiment nourrie. Mais il a aussi été ce jeune lieutenant qui débarque de province en rêvant de cinéma comme le lieutenant rêve de beaux crimes. Il s’est vraiment raconté à travers les deux rôles et sa sincérité est payante. »
Une sincérité qui affleure en effet dans chaque plan de ce Petit Lieutenant où rien ne sent le trafiqué. Réalisme des grands jours, acteurs non-professionnels, éclairage simplissime, parfois cru, approche documentaire, absence de musique. Mais aussi ampleur du regard, usage du polar pour mieux dire le monde, plongée dans le noir pour s’humaniser la rétine. Tiens, ça ne vous rappelle pas quelqu’un ?
Mais oui. Le grand Pialat. « Le cinéma de Beauvois n’est pas du tout intellectuel, ce n’est pas une prise d’otage. Tout est assez simple. Ces gens sont des gens simples avec des émotions simples. Moi qui ai tourné avec Pialat (La gueule ouverte), je trouve que Beauvois est peut-être, dans les jeunes cinéastes, celui qui s’en rapproche le plus. Il n’y a pas d’esbroufe, il y a une vérité absolue, sans effets spectaculaires et il reste dans l’émotion » de renchérir la Baye.
Grande Baye, foutrement émouvante Baye, à peine maquillée, chancelante mais mise en valeur comme jamais par un cinéaste au sens du cadre aussi sobre que précis. Baye qui habite cette Caroline avec les nuances et la simplicité des grands moments de cinéma. Ce n’est que justice, ce rôle lui a valu son 4ème César. Une récompense que son seul regard final à la caméra aurait suffit à lui mériter. Un de ces derniers plans rares, précieux, comme l’on n’en voit qu’au cinéma, où toutes les promesses du film viennent s’abîmer dans un douloureux mais somptueux point d’interrogation.
Etonnant de voir un homme filmer une femme comme ça, d’avoir su décrire ce mélange de force et de fragilité, d’attention maternelle et d’autorité, d’héroïne et d’épave. D’autant plus étonnant, en fait, que le rôle était au départ écrit pour un homme. « Je crois, et c’est un avis très personnel, que le fait de l’avoir donné à une femme donne peut-être au rôle une dimension émotionnelle plus forte. En tout cas, c’était un magnifique personnage de cinéma à jouer. Dense, passionnée, romanesque, désenchantée, perpétuellement au bord de la chute, pleine de contradictions. Il y avait tout à jouer avec elle ».
Et pour nous, il y aura également tout à voir dans ce Petit Lieutenant. Apre et intimiste, rugueux sans oublier d’être lumineux, dialogué à la perfection avec cet entraînant sens de la gouaille impertinente, rigoureux sans jamais oublier son public, le film s’amuse également à prendre à rebrousse-poil toutes ces ennuyeux clichés de représentation policière en nous rappelant que non, flic, ce n’est pas comme dans les films. Ni misérabiliste, ni héroïsant, mais plutôt solide, mature et passionnant, ce film donne envie de croire Baye quand elle affirme :
«Xavier Beauvois touche absolument la vérité en étant d’une justesse totale. À une époque où les films débordent d’effets spéciaux, lui avec des moyens simples, il vous procure des émotions.. Je trouve que c’est un des meilleurs cinéastes de sa génération »
mercredi, juillet 26, 2006
Les sous, toujours les sous
Alors, notre cinéma, en forme ou pas?
Cette lettre, qui circule ces temps-ci et que que vous signerez si vous en avez envie en allant faire un tour ICI a au moins le mérite d'être claire. Je m'en fais plus que volontiers le relais...
Pour une cinématographie nationale forte
La « crise du financement » du cinéma québécois ne se réduit pas au seul choix de Téléfilm Canada de ne pas accorder le plein financement au film de Denys Arcand. Elle est l'indice d'un problème profond qui met en cause non seulement la quantité de fonds disponibles, mais aussi l'orientation même du système de financement actuel.
Rappelons les faits: le 16 juin dernier, on apprenait que des 32 films en attente de financement à l’aide sélective de Téléfilm Canada, seuls trois films d’ici allaient être financés: ceux de Denys Arcand, de Bernard Émond et de Stéphane Lafleur, et deux coproductions minoritaires. C’est qu’il ne restait à Téléfilm que $4m à répartir.
Comment se fait-il qu’il reste si peu d'argent? Il faut savoir que depuis 2001 la moitié des fonds de Téléfilm est accordée sous forme d’enveloppes à la performance aux producteurs des films qui ont connu un grand succès au box office. Une maison de production peut recevoir jusqu'à $3,5m et peut utiliser cet argent pour développer et produire les films de son choix, sans avoir à les faire évaluer par Téléfilm Canada au concours comparatif du programme d'aide sélective. Mais rien n'empêche un producteur qui a dépensé son enveloppe de compléter le financement d'un projet (ou de financer complètement un autre projet) à l'aide sélective. Le résultat est que près de 75% des fonds de Téléfilm sont entre les mains de quelques producteurs.
Le 23 juin dernier, Téléfilm Canada publiait la liste des bénéficiaires des enveloppes à la performance pour l’année 2006-2007. On y apprend que Cinémaginaire, la compagnie de production de Denise Robert, aurait une enveloppe à la performance de $2.7m pour ses productions en français (et un montant du même ordre pour ses films en anglais). Il semble qu’elle n’a pas jugé bon d’investir cette importante enveloppe dans le film d’Arcand, mais plutôt dans le film d’Yves Desgagnés, Roméo et Juliette PQ, qui avait été refusé à l’aide sélective.
La privatisation des fonds publics que constitue à toutes fins pratiques le système des enveloppes à la performance, combinée à l’augmentation spectaculaire des budgets des films au cours des dernières années (en hausse de 163% en six ans selon Téléfilm), font en sorte que la capacité de Téléfilm à financer des films à l’aide sélective s’est dramatiquement amoindrie au fil des ans. Pourtant l’aide sélective de Téléfilm a joué un rôle déterminant dans notre cinématographie. La très grande majorité des succès populaires et critiques du cinéma québécois y ont été financés.
Par contre, le système des enveloppes à la performance crée une tendance lourde à la production de films de plus en plus commerciaux, puisque les succès au box office garantissent un financement automatique quelle que soit la valeur culturelle des projets. Ce système produit en outre de nombreux autres effets pervers : concentration des entreprises (56% des fonds sont allés à 5 compagnies), élimination des petites maisons de production (dont le dynamisme est si important pour la cinématographie nationale), diminution du nombre de films et étouffement du cinéma d’auteur. Dans cette parodie de partenariat public-privé qu’est le système des enveloppes à la performance, l'État finance en totalité une activité et en assume par conséquent tous les risques financiers tout en abandonnant complètement le contrôle à l'entreprise privée. Nous refusons catégoriquement cette privatisation forcenée des fonds publics.
Si nous prenons la parole aujourd’hui, c'est pour affirmer notre amour du cinéma québécois, et pour dire haut et fort que nous désirons une cinématographie nationale forte et originale, faite d'oeuvres qui traverseront le temps et les frontières. Évidemment, nous nous réjouissons quand des films de qualité remportent des succès au box office, mais rappelons pour mémoire que Les ordres de Michel Brault, ce pur chef d'oeuvre, prix de mise en scène à Cannes, ne figure pas au palmarès des cent films québécois ayant fait le plus d'entrées en salles . On n'y trouvera pas non plus Réjeanne Padovani de Denys Arcand, ni Les bons débarras de Francis Mankiewicz, ni À tout prendre de Claude Jutra, ni L’eau chaude l’eau frette d’André Forcier, ni La vraie nature de Bernadette de Gilles Carle, ni Le chat dans le sac de Gilles Groulx, ni Pour la suite du monde de Pierre Perrault et Michel Brault. Tous ces films sont pourtant des oeuvres-phares de notre cinéma et ont obtenu une reconnaissance internationale. C’est l’une des nombreuses raisons qui nous font affirmer que planifier l’essentiel de notre cinématographie future à la seule aune du box office est une pure aberration.
Avant de connaître un succès international avec Le déclin de l’empire américain et Jésus de Montréal, puis quinze ans plus tard, un triomphe mondial avec Les invasions barbares, Denys Arcand a eu un long parcours. Son œuvre se construit depuis maintenant 47 ans (depuis À l’est d’Eaton, court métrage coréalisé avec Stéphane Venne en 1959) dans un système de financement imparfait certes, mais qui l’a quand même soutenu dans la production de 14 longs métrages. Au cours de sa carrière, à une époque où les impératifs de réussite commerciale ne passaient pas avant la création, Denys Arcand a réussi à produire une œuvre personnelle et forte. S’il est l’un des plus grands cinéastes québécois, c’est qu’on lui a donné la possibilité de le devenir. Il convient de rappeler que d'autres cinéastes ont été refusés au dernier concours comparatif et que la richesse d’une culture ne peut pas reposer sur le regard d’un seul créateur, aussi brillant soit-il. C’est en soutenant des œuvres et des approches cinématographiques variées que notre cinéma sera vibrant, fort, unique, sur nos écrans comme sur la scène internationale, dans 5, 10, 15 et 20 ans.
Tous les acteurs du milieu s'accordent à dire qu'il y a un manque flagrant d'argent alloué au cinéma québécois. À cet égard, nous souhaitons, comme d’autres, que la ministre Bev Oda injecte des fonds supplémentaires pour réduire la crise à court terme. Mais il reste que cette crise est en grande partie créée par l'orientation même du système et que la question de la répartition des fonds se pose avec urgence. Un comité d’étude travaille actuellement à la refonte du système de financement. Mais selon quels critères? Si le critère de performance au box-office demeure prépondérant, il faut craindre que notre cinéma ne s'enferme dans une logique commerciale qui nuise à sa qualité et à sa diversité.
Dans une lettre récente, Jean-Pierre Lefebvre, au nom de l'Association des Réalisateurs et Réalisatrices du Québec, dénonçait l'absurdité des politiques actuelles et réclamait un changement radical de mentalité et l'abolition des enveloppes de performance. Nous nous associons à cette revendication et réclamons un système de financement sélectif qui encourage avant tout la qualité des films en favorisant une cinématographie nationale originale et diversifiée.
Ont signé :
Jeremy Peter Allen
Louise Archambault
Céline Baril
Jean Beaudry
Richard Brouillette
Bruno Carrière
Alain Chartrand
Jeanne Crépeau
Fernand Dansereau
Mireille Dansereau
François Delisle
Claude Demers
Bernard Émond
Philippe Falardeau
Robert Favreau
Carlos Ferrand
Claude Fortin
Michel Jetté
Jeannine Gagné
Sylvie Groulx
Julie Hivon
Carole Laganière
Micheline Lanctôt
Denis Langlois
Hugo Latulippe
Francis Leclerc
Jean-Pierre Lefebvre
Marquise Lepage
Robert Lepage
Catherine Martin
Gilles Noël
Léa Pool
Nathalie Saint-Pierre
Marie-Jan Seille
André Turpin
Denis Villeneuve
Maryanne Zéhil
Cette lettre, qui circule ces temps-ci et que que vous signerez si vous en avez envie en allant faire un tour ICI a au moins le mérite d'être claire. Je m'en fais plus que volontiers le relais...
Pour une cinématographie nationale forte
La « crise du financement » du cinéma québécois ne se réduit pas au seul choix de Téléfilm Canada de ne pas accorder le plein financement au film de Denys Arcand. Elle est l'indice d'un problème profond qui met en cause non seulement la quantité de fonds disponibles, mais aussi l'orientation même du système de financement actuel.
Rappelons les faits: le 16 juin dernier, on apprenait que des 32 films en attente de financement à l’aide sélective de Téléfilm Canada, seuls trois films d’ici allaient être financés: ceux de Denys Arcand, de Bernard Émond et de Stéphane Lafleur, et deux coproductions minoritaires. C’est qu’il ne restait à Téléfilm que $4m à répartir.
Comment se fait-il qu’il reste si peu d'argent? Il faut savoir que depuis 2001 la moitié des fonds de Téléfilm est accordée sous forme d’enveloppes à la performance aux producteurs des films qui ont connu un grand succès au box office. Une maison de production peut recevoir jusqu'à $3,5m et peut utiliser cet argent pour développer et produire les films de son choix, sans avoir à les faire évaluer par Téléfilm Canada au concours comparatif du programme d'aide sélective. Mais rien n'empêche un producteur qui a dépensé son enveloppe de compléter le financement d'un projet (ou de financer complètement un autre projet) à l'aide sélective. Le résultat est que près de 75% des fonds de Téléfilm sont entre les mains de quelques producteurs.
Le 23 juin dernier, Téléfilm Canada publiait la liste des bénéficiaires des enveloppes à la performance pour l’année 2006-2007. On y apprend que Cinémaginaire, la compagnie de production de Denise Robert, aurait une enveloppe à la performance de $2.7m pour ses productions en français (et un montant du même ordre pour ses films en anglais). Il semble qu’elle n’a pas jugé bon d’investir cette importante enveloppe dans le film d’Arcand, mais plutôt dans le film d’Yves Desgagnés, Roméo et Juliette PQ, qui avait été refusé à l’aide sélective.
La privatisation des fonds publics que constitue à toutes fins pratiques le système des enveloppes à la performance, combinée à l’augmentation spectaculaire des budgets des films au cours des dernières années (en hausse de 163% en six ans selon Téléfilm), font en sorte que la capacité de Téléfilm à financer des films à l’aide sélective s’est dramatiquement amoindrie au fil des ans. Pourtant l’aide sélective de Téléfilm a joué un rôle déterminant dans notre cinématographie. La très grande majorité des succès populaires et critiques du cinéma québécois y ont été financés.
Par contre, le système des enveloppes à la performance crée une tendance lourde à la production de films de plus en plus commerciaux, puisque les succès au box office garantissent un financement automatique quelle que soit la valeur culturelle des projets. Ce système produit en outre de nombreux autres effets pervers : concentration des entreprises (56% des fonds sont allés à 5 compagnies), élimination des petites maisons de production (dont le dynamisme est si important pour la cinématographie nationale), diminution du nombre de films et étouffement du cinéma d’auteur. Dans cette parodie de partenariat public-privé qu’est le système des enveloppes à la performance, l'État finance en totalité une activité et en assume par conséquent tous les risques financiers tout en abandonnant complètement le contrôle à l'entreprise privée. Nous refusons catégoriquement cette privatisation forcenée des fonds publics.
Si nous prenons la parole aujourd’hui, c'est pour affirmer notre amour du cinéma québécois, et pour dire haut et fort que nous désirons une cinématographie nationale forte et originale, faite d'oeuvres qui traverseront le temps et les frontières. Évidemment, nous nous réjouissons quand des films de qualité remportent des succès au box office, mais rappelons pour mémoire que Les ordres de Michel Brault, ce pur chef d'oeuvre, prix de mise en scène à Cannes, ne figure pas au palmarès des cent films québécois ayant fait le plus d'entrées en salles . On n'y trouvera pas non plus Réjeanne Padovani de Denys Arcand, ni Les bons débarras de Francis Mankiewicz, ni À tout prendre de Claude Jutra, ni L’eau chaude l’eau frette d’André Forcier, ni La vraie nature de Bernadette de Gilles Carle, ni Le chat dans le sac de Gilles Groulx, ni Pour la suite du monde de Pierre Perrault et Michel Brault. Tous ces films sont pourtant des oeuvres-phares de notre cinéma et ont obtenu une reconnaissance internationale. C’est l’une des nombreuses raisons qui nous font affirmer que planifier l’essentiel de notre cinématographie future à la seule aune du box office est une pure aberration.
Avant de connaître un succès international avec Le déclin de l’empire américain et Jésus de Montréal, puis quinze ans plus tard, un triomphe mondial avec Les invasions barbares, Denys Arcand a eu un long parcours. Son œuvre se construit depuis maintenant 47 ans (depuis À l’est d’Eaton, court métrage coréalisé avec Stéphane Venne en 1959) dans un système de financement imparfait certes, mais qui l’a quand même soutenu dans la production de 14 longs métrages. Au cours de sa carrière, à une époque où les impératifs de réussite commerciale ne passaient pas avant la création, Denys Arcand a réussi à produire une œuvre personnelle et forte. S’il est l’un des plus grands cinéastes québécois, c’est qu’on lui a donné la possibilité de le devenir. Il convient de rappeler que d'autres cinéastes ont été refusés au dernier concours comparatif et que la richesse d’une culture ne peut pas reposer sur le regard d’un seul créateur, aussi brillant soit-il. C’est en soutenant des œuvres et des approches cinématographiques variées que notre cinéma sera vibrant, fort, unique, sur nos écrans comme sur la scène internationale, dans 5, 10, 15 et 20 ans.
Tous les acteurs du milieu s'accordent à dire qu'il y a un manque flagrant d'argent alloué au cinéma québécois. À cet égard, nous souhaitons, comme d’autres, que la ministre Bev Oda injecte des fonds supplémentaires pour réduire la crise à court terme. Mais il reste que cette crise est en grande partie créée par l'orientation même du système et que la question de la répartition des fonds se pose avec urgence. Un comité d’étude travaille actuellement à la refonte du système de financement. Mais selon quels critères? Si le critère de performance au box-office demeure prépondérant, il faut craindre que notre cinéma ne s'enferme dans une logique commerciale qui nuise à sa qualité et à sa diversité.
Dans une lettre récente, Jean-Pierre Lefebvre, au nom de l'Association des Réalisateurs et Réalisatrices du Québec, dénonçait l'absurdité des politiques actuelles et réclamait un changement radical de mentalité et l'abolition des enveloppes de performance. Nous nous associons à cette revendication et réclamons un système de financement sélectif qui encourage avant tout la qualité des films en favorisant une cinématographie nationale originale et diversifiée.
Ont signé :
Jeremy Peter Allen
Louise Archambault
Céline Baril
Jean Beaudry
Richard Brouillette
Bruno Carrière
Alain Chartrand
Jeanne Crépeau
Fernand Dansereau
Mireille Dansereau
François Delisle
Claude Demers
Bernard Émond
Philippe Falardeau
Robert Favreau
Carlos Ferrand
Claude Fortin
Michel Jetté
Jeannine Gagné
Sylvie Groulx
Julie Hivon
Carole Laganière
Micheline Lanctôt
Denis Langlois
Hugo Latulippe
Francis Leclerc
Jean-Pierre Lefebvre
Marquise Lepage
Robert Lepage
Catherine Martin
Gilles Noël
Léa Pool
Nathalie Saint-Pierre
Marie-Jan Seille
André Turpin
Denis Villeneuve
Maryanne Zéhil
vendredi, juillet 21, 2006
En un mot, la Sicile...c'est beau
Ah...vous m'avez manqué!
Je vous ne ferai pas le coup de la soirée diapo, faudrait pas virer mémère tout de suite non plus. Mais je ne résiste pas à vous livrer des bribes de voyage, comme ça, dans le désordre.
Le 3 juillet, arrivée à Palerme. Dans ma chambre d'hôtel, au-dessus du lit, une photo de Pasolini encadrée...prédestination?
Puis la vie qui déborde partout. Dans ces étroites rues pavées sans trottoir où les mamas communiquent de balcons à balcons. Dans ce linge qui sèche aux balcons en pierre d'édifices historiques du VXIIème. Dans ces incroyables marchés. Ca hurle, ça gesticule devant les étals gorgés de figues grosses comme le poing et de têtes d'espadon.
Bien sûr, qui dit Sicile, dit Mafia. Rien de cinématographique là-dedans. C'est au contraire très concret, un peuple qui tente de se défaire de cette machiavélique influence en refusant la pizzo, "l'impôt" exigé par cette chère organisation. Traduction grossière: un peuple qui paye la pizzo est un peuple sans dignité
Mais il y a aussi la plage qui ressemble à une carte postale. L'eau claire, le sable blanc et l'envie de pouvoir, comme les palermitains, y venir aussi souvent que ça me chante...petit regret.
Et que dire du foot? Les gamins des rues où se cache peut-être un futur génie. La folie de la finale (gachée par le seul orage de mes vacances après le coup de sifflet final...bien fait pour eux!)
Ensuite revenir en France et réaliser que le foot est en réalité chose très sérieuse. De Bernard-Henri Lévy à Ariane Mnouchkine, les hautes sphères bouillonnaient d'éditos sur "le geste" de Zidane. Le geste qui lui fit, tenez-vous bien, retrouver un statut humain et perdre celui de demi-Dieu. Et ceci sans compter les sociologues de tout poil qui font de l'équipe de France un baromètre du moral hexagonal...trop drôle.
J'ai tout de même craqué pour une analyse lue dans le Nouvel Obs. L'auteur s'y fendait d'une comparaison réjouissante sur laquelle je vous laisse avant de revenir à une activité normale:
"Zidane aime bien Ribéry. C'est un couple, peut-être, façon Gabin-Belmondo dans Un singe en hiver. Ou, dans les westerns de Hawks, John Wayne en vétéran couturé qui parraine un godelureau à la gâchette hésitante..."
Je vous ne ferai pas le coup de la soirée diapo, faudrait pas virer mémère tout de suite non plus. Mais je ne résiste pas à vous livrer des bribes de voyage, comme ça, dans le désordre.
Le 3 juillet, arrivée à Palerme. Dans ma chambre d'hôtel, au-dessus du lit, une photo de Pasolini encadrée...prédestination?
Puis la vie qui déborde partout. Dans ces étroites rues pavées sans trottoir où les mamas communiquent de balcons à balcons. Dans ce linge qui sèche aux balcons en pierre d'édifices historiques du VXIIème. Dans ces incroyables marchés. Ca hurle, ça gesticule devant les étals gorgés de figues grosses comme le poing et de têtes d'espadon.
Bien sûr, qui dit Sicile, dit Mafia. Rien de cinématographique là-dedans. C'est au contraire très concret, un peuple qui tente de se défaire de cette machiavélique influence en refusant la pizzo, "l'impôt" exigé par cette chère organisation. Traduction grossière: un peuple qui paye la pizzo est un peuple sans dignité
Mais il y a aussi la plage qui ressemble à une carte postale. L'eau claire, le sable blanc et l'envie de pouvoir, comme les palermitains, y venir aussi souvent que ça me chante...petit regret.
Et que dire du foot? Les gamins des rues où se cache peut-être un futur génie. La folie de la finale (gachée par le seul orage de mes vacances après le coup de sifflet final...bien fait pour eux!)
Ensuite revenir en France et réaliser que le foot est en réalité chose très sérieuse. De Bernard-Henri Lévy à Ariane Mnouchkine, les hautes sphères bouillonnaient d'éditos sur "le geste" de Zidane. Le geste qui lui fit, tenez-vous bien, retrouver un statut humain et perdre celui de demi-Dieu. Et ceci sans compter les sociologues de tout poil qui font de l'équipe de France un baromètre du moral hexagonal...trop drôle.
J'ai tout de même craqué pour une analyse lue dans le Nouvel Obs. L'auteur s'y fendait d'une comparaison réjouissante sur laquelle je vous laisse avant de revenir à une activité normale:
"Zidane aime bien Ribéry. C'est un couple, peut-être, façon Gabin-Belmondo dans Un singe en hiver. Ou, dans les westerns de Hawks, John Wayne en vétéran couturé qui parraine un godelureau à la gâchette hésitante..."
jeudi, juillet 06, 2006
LES AMANTS RÉGULIERS
Cher tous,
Pendant que je me prélasse, les doigts de pied en éventail au bord de
l'eau, je fais travailler les copains! En toute exclusivité, parce que
ce blogue se veut un espace dédié à la critique indépendante et surtout
parce qu'on a rarement mieux écrit sur les films qu'elle, voici la
critique des Amants Réguliers, signée Juliette Ruer.
LES AMANTS RÉGULIERS
Souvenir grisant
Par Juliette Ruer
C’est grave et si léger… le cinéma français s’articule encore sur ces deux composantes; à l’aise sur des échasses qui ne vont pas souvent au même rythme. Depuis longtemps. Les équilibristes s’appelaient entre autre Vigo et Renoir, puis vint Louis Malle, Jean Eustache et Truffaut. Demy et Varda. Et des bulles de temps en temps, Éric Rochant, le Klapisch du début, Pierre Salvadori, Ducastel et Martineau, Christophe Honoré, peut-être. Sombres et si solaires, dans la facture comme dans le sens, les Gaulois ne sont pas mauvais dans l’art des fantaisies dramatiques qui sourient à contretemps.
Les Amants réguliers est l’essence même de ce charme. Il est cela et encore plus, parce que Philippe Garrel n’est pas le premier venu, qu’il ne s’arrête pas au tableau délicat que cela compose et parce qu’il évite le piège principal de sa proposition : la nostalgie du baby-boomer parisien.
Il l’évite! C’est un quasi miracle, vu la donne : nous sommes en 2006 et il s’agit d’un film de trois heures en noir et blanc, avec très peu de dialogues et quelques touches de piano, qui parle des dérives sociales, artistiques et amoureuses de jeunes en plein mai 68. Pas d’ouvriers, pas de populo, juste les Princes de la rue, l’aristocratie du pavé, étudiants et artistes confondus. Les héros sont beaux comme des dieux en veste noire et chemise blanche, les filles sont alanguies, l’opium fait des volutes. Les barricades sont révolutionnaires. Sur papier, un truc plus cliché et plus propice à la mélancolie que ça : faut lire Paris Match.
Et pourtant, zéro nostalgie dans ce film. Ou plutôt, la seule qui existe est la composante majeure d’un romantisme généralisé. Mais on n’y sent aucun regret de cette époque emblématique. Si ce film carbure à un tiers d’idéalisme, il est tempéré par deux tiers de désillusion, de mort et de mal de vivre. Rien de joyeux, mais pas d’amertume non plus. Il y a bien le souvenir de la jeunesse (Garrel avait l’âge de son fils au moment des événements) et le malaise vécu quand la famille Garrel au grand complet (Louis Garrel, Maurice Garrel et Brigitte Sy) est déçue parce que la révolution s’étouffe après la nuit des barricades. Les gens de gauche en souffrent encore. Mais quand dans un soupir en forme de sourire, Clotilde Hesme articule Ber-nar-do-Berto-lu-cci, autre rêveur magistral des années 60 (qui a lui aussi regardé en arrière récemment avec The Dreamers), on y voit un hommage et rien qui laisse transparaître le « c’était mieux, avant ».
Les Amants réguliers est surtout un très joli miroir de l’âge des possibles. Garrel a pris le temps de capter ces regards qui ne sont que rarement directs, ces gaucheries et ces gestes malhabiles, ces flambées d’émotion et ces apathies immenses. L’oeil est tendre sur leurs errances, le réalisateur aime cet état. Il s’attarde, en mettant des accents de piano à la Éric Satie sur les points forts, et en laissant surtout le grand directeur photo Willy Lubtchansky découper ses héros en noir et blanc jusqu’à ce qu’ils forment un tableau cubiste, un composite somptueux, propice à la mémoire, qui s’accorde à merveille à cette histoire de Roméo et Juliette.
Un poète avec des boucles aime d’amour fou une sculpteur avec des jeans. Le poète est si romantique qu’il cite Musset, rêve de Révolution française et s’imagine sauvant sa bien-aimée : avec un film pareil, l’amour est somptueusement jeune.
Pendant que je me prélasse, les doigts de pied en éventail au bord de
l'eau, je fais travailler les copains! En toute exclusivité, parce que
ce blogue se veut un espace dédié à la critique indépendante et surtout
parce qu'on a rarement mieux écrit sur les films qu'elle, voici la
critique des Amants Réguliers, signée Juliette Ruer.
LES AMANTS RÉGULIERS
Souvenir grisant
Par Juliette Ruer
C’est grave et si léger… le cinéma français s’articule encore sur ces deux composantes; à l’aise sur des échasses qui ne vont pas souvent au même rythme. Depuis longtemps. Les équilibristes s’appelaient entre autre Vigo et Renoir, puis vint Louis Malle, Jean Eustache et Truffaut. Demy et Varda. Et des bulles de temps en temps, Éric Rochant, le Klapisch du début, Pierre Salvadori, Ducastel et Martineau, Christophe Honoré, peut-être. Sombres et si solaires, dans la facture comme dans le sens, les Gaulois ne sont pas mauvais dans l’art des fantaisies dramatiques qui sourient à contretemps.
Les Amants réguliers est l’essence même de ce charme. Il est cela et encore plus, parce que Philippe Garrel n’est pas le premier venu, qu’il ne s’arrête pas au tableau délicat que cela compose et parce qu’il évite le piège principal de sa proposition : la nostalgie du baby-boomer parisien.
Il l’évite! C’est un quasi miracle, vu la donne : nous sommes en 2006 et il s’agit d’un film de trois heures en noir et blanc, avec très peu de dialogues et quelques touches de piano, qui parle des dérives sociales, artistiques et amoureuses de jeunes en plein mai 68. Pas d’ouvriers, pas de populo, juste les Princes de la rue, l’aristocratie du pavé, étudiants et artistes confondus. Les héros sont beaux comme des dieux en veste noire et chemise blanche, les filles sont alanguies, l’opium fait des volutes. Les barricades sont révolutionnaires. Sur papier, un truc plus cliché et plus propice à la mélancolie que ça : faut lire Paris Match.
Et pourtant, zéro nostalgie dans ce film. Ou plutôt, la seule qui existe est la composante majeure d’un romantisme généralisé. Mais on n’y sent aucun regret de cette époque emblématique. Si ce film carbure à un tiers d’idéalisme, il est tempéré par deux tiers de désillusion, de mort et de mal de vivre. Rien de joyeux, mais pas d’amertume non plus. Il y a bien le souvenir de la jeunesse (Garrel avait l’âge de son fils au moment des événements) et le malaise vécu quand la famille Garrel au grand complet (Louis Garrel, Maurice Garrel et Brigitte Sy) est déçue parce que la révolution s’étouffe après la nuit des barricades. Les gens de gauche en souffrent encore. Mais quand dans un soupir en forme de sourire, Clotilde Hesme articule Ber-nar-do-Berto-lu-cci, autre rêveur magistral des années 60 (qui a lui aussi regardé en arrière récemment avec The Dreamers), on y voit un hommage et rien qui laisse transparaître le « c’était mieux, avant ».
Les Amants réguliers est surtout un très joli miroir de l’âge des possibles. Garrel a pris le temps de capter ces regards qui ne sont que rarement directs, ces gaucheries et ces gestes malhabiles, ces flambées d’émotion et ces apathies immenses. L’oeil est tendre sur leurs errances, le réalisateur aime cet état. Il s’attarde, en mettant des accents de piano à la Éric Satie sur les points forts, et en laissant surtout le grand directeur photo Willy Lubtchansky découper ses héros en noir et blanc jusqu’à ce qu’ils forment un tableau cubiste, un composite somptueux, propice à la mémoire, qui s’accorde à merveille à cette histoire de Roméo et Juliette.
Un poète avec des boucles aime d’amour fou une sculpteur avec des jeans. Le poète est si romantique qu’il cite Musset, rêve de Révolution française et s’imagine sauvant sa bien-aimée : avec un film pareil, l’amour est somptueusement jeune.