jeudi, mai 10, 2007

 

Du poids des mots au choc des images


Bruno Dumont fait des films qui sentent la terre et la campagne. Pas dans leurs versions folkloriques, Marguerite la vache et colchique dans les près. Non, la vraie terre. Celle qui, mouillée, se transforme en gadoue. Celle où l’on s’allonge pour baiser parce que tout cela est bien naturel.

Dumont fait aussi des films où l’on a mal. Sans le dire. Parce ce que la condition humaine est complexe, touffue et qu’elle ne s’explique pas par de longs discours. Chez Dumont, la pudeur est ailleurs. Chez le cinéaste, on est dans le vrai, le dur, le rugueux, comme on peut l’être parfois chez les frères Dardenne, la chrétienté en moins.

Flandres, son 4ème film, après La vie de Jésus, L’humanité et 29palms, ne fait pas exception. Grand prix du jury du festival de Cannes 2006, Flandres est en effet un film aussi rigoureux que choquant, tenaillé par un absolu de l’art absolument renversant. Dostoïveski ou Bresson ne sont pas si loin.

De retour dans son village natal, Bailleul (déjà pris pour cadre de La vie de Jésus), Dumont y filme avec une puissance impressionnante le quotidien du fermier Demester et de son amoureuse volage Barbe. Mais la guerre, une guerre, n’importe laquelle, appelle les jeunes hommes du village au front (filmé dans l’aridité du désert tunisien). L’un part, l’autre reste, mais tous seront marqués, au fer rouge, par la cruauté bestiale du combat, par ce que ce dernier peut révéler de l’Homme.

La communauté se dérègle et à la manière d’un philosophe, dont il reçut la formation, Dumont filme avec un sens du beau renversant la thèse, l’antithèse et la synthèse de cette histoire d’amour singulière et profondément terrienne. Les âmes, doucement, restent à l’état de concept tandis que l’animalité des corps se déchaînent à l’écran comme pour mieux nous saisir, pour mieux nous rappeler nos conditions d’êtres de chairs et de sang. La beauté maladive du tout glace, l’intériorité des personnages évoquée sans que ceux-ci aient à verbaliser quoi que ce soit, renverse. La concision nette et précise du regard cloue au fauteuil. Les comédiens non-professionnels (Samuel Boidin pour la seconde fois chez le cinéaste et Adélaïde Leroux, magnifiques) existent avec une vérité criante. Âpre, parfois abstrait, faisant s’affronter le choc des images et le poids des idées, Flandres est au cinéma ce que l’art , lorsqu'il refuse la complaisance, sait être à la vie : un choc difficile, mais nécessaire.

Comments:
Merci pour cette critique éclairante, ça nous change du texte honteux de S.Sarfati dans La Presse d'hier.
 
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