samedi, mai 06, 2006

 

La moustache


J'allais presque oublier de vous parler de La Moustache, premier long de fiction de l'écrivain Emmanuel Carrère. Ca aurait été une erreur de ma part. Ce film-là a justement ce petit quelque chose en plus qui nous secoue les neurones.

Au poil
Inutile de couper les cheveux en quatre, La moustache est certainement le film le plus excitant qui nous soit arrivé de France depuis longtemps.

Drôle d’objet que cette Moustache. L’histoire en est simplissime : un homme décide de se raser la moustache, mais ni sa femme, ni ses amis, ni ses collègues ne le remarque. Mais c’est pourtant autour de cette trame qu’Emmanuel Carrère réussit à construire un premier long de fiction aussi singulier que déconcertant.
Il faut dire qu’Emmanuel Carrère n’est pas un nouveau venu en matière de récits denses et passionnants. Écrivain, l’homme a en effet déjà vu deux de ses récits (La classe de neige par Claude Miller et L’adversaire par Nicole Garcia) adaptés avec soin. Mais un documentaire plus tard (Retour à Kotelnitch), voilà qu’il a décidé de mettre lui-même la main à la pâte en adaptant comme un grand son roman paru en 1986 : La moustache (disponible chez Folio).
Aidé au scénario par Jérôme Beaujour (fidèle scénariste de Benoît Jacquot) et lui-même cinéphile de longue date (il a déjà écrit une biographie d’Herzog et été critique de cinéma), Carrère organise alors son regard dans une mise en scène précise et quasi-hitchcockienne, d’une élégance absolue. Couleurs douces, musique obsédante de Philip Glass et montage déstabilisant se mêlent ainsi pour tendre les fils d’un délectable cauchemar filmé.
Descente aux enfers.
Film noir sans « action », film fantastique sans science-fiction, La moustache se ballade en fait aux confins des genres avec un réalisme profond où le sens volète d’un bord à l’autre sans jamais se laisser attraper. Pourquoi, comment, qui, quand ? Les questions abondent en effet pour mieux déstabiliser le spectateur habitué aux chemins balisés. Et c’est justement la grande force du film. Laissant toutes ses portes ouvertes, il nous laisse alors le pénétrer à tous les niveaux possibles, ne fermant sur sa route aucune interprétation, laissant l’irrationnel nous envahir pour mieux nous permettre de nous y perdre avec un bonheur teinté d’angoisse.
Car ce que nous observons, dans ce film empruntant son sens du cauchemar à Moebius et sa paranoïa à Philip K. Dick, c’est la descente aux enfers psychologique d’un homme. Un homme perdu, un homme troublé, un homme détruit. Mais un homme amoureux aussi, en train de constater et de participer à la dérive de son couple.
Peut-être un peu moins solide dans sa partie hong-kongaise (le héros lassé de ses doutes finit par prendre la fuite), le film est en effet traversé par ce questionnement refusant toute vision gnangnan de l’amour: un couple, aussi solide et honnête soit-il, peut-il résister à tout ? Et c’est alors que les comédiens entrent en jeu. En très grande forme, Emmanuelle Devos et Vincent Lindon offrent ainsi leurs voix, leurs gestes et leurs visages à ce couple en pleine crise de confiance, magnifiant chaque instant des nuances de leurs solides interprétations. Complices et attachants, ils sont en fin de compte l’épine dorsale de ce récit à la sobriété exemplaire, aussi intense qu’obsédant.
Helen Faradji

Comments:
Bien d'accord avec cette critique; ce film est un bon exemple de réalisme-fantastique à la française. Le côté anodin et l'absurdité de la situation qu'il met en scène rend l'intrigue beaucoup plus angoissante que n'importe quel suspense auquel on est habitué. C'est un film unique et rare.
 
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